Dernière mise à jour le 31 mai 2021
L’histoire
Le conseil municipal d’Helsinki décide en 1997 de soumettre par tranche l’ensemble du réseau d’autobus urbains à concurrence. Jusque-là, la ville d’Helsinki disposait d’une entreprise de transport intégrée dans son périmètre. On parlerait en France de gestion en régie.
Il s’agit d’une entreprise commerciale municipale qui, d’un point de vue fonctionnel et économique, est divisée en quatre unités de production (autobus, tramways, métro ainsi que voies et immeubles). L’unité de production concernant les autobus est HKL.
Le dossier de consultation du marché lancé par la ville comporte trois critères de choix pour désigner l’offre économiquement la plus avantageuse : le prix global demandé pour l’exploitation, la qualité du matériel (autobus) et la gestion par l’entrepreneur en matière de qualité et d’environnement.
S’agissant de la qualité du matériel, le soumissionnaire pouvait obtenir un maximum de 10 points supplémentaires dès lors que d’une part ses autobus dégageaient des émissions d’oxyde azotique inférieures à 4g/kWh (+2,5 points/bus) ou inférieures à 2g/kWh (+3,5 points/bus) et, d’autre part, un niveau sonore inférieur à 77 dB (+1 point/bus).
C’est principalement sur ce critère que porte le contentieux.
L’objet du recours
En effet, le plaignant (Concordia) fait valoir que l’attribution de points supplémentaires à un matériel dont les émissions d’oxyde azotique et le niveau sonore sont inférieurs à certaines limites est inéquitable et discriminatoire.
Et cela d’autant plus du fait qu’un seul soumissionnaire (HKL) était en mesure de remplir ce critère par l’usage de bus fonctionnant au gaz naturel.
On voit bien le piège de la règle de concurrence se refermer sur la juridiction avec les deux questions posées.
D’abord, prendre en compte dans l’attribution du marché le fait que les véhicules de transport soient moins polluants n’a pas de lien direct avec l’objet du marché et le besoin de la collectivité, qui consiste uniquement à transporter des voyageurs d’un point à un autre sur une ligne déterminée.
De surcroit, les contraintes imposées par ce critère « écologique » forment une barrière à l’accès au marché quasi infranchissable, puisque seule l’entreprise de la ville est susceptible, au moment de la consultation, de remplir cette condition.
La construction de la décision
Le juge construit son argumentation de manière très habile.
Il rappelle tout d’abord que les pouvoirs adjudicateurs peuvent prendre en compte des critères écologiques dans les marchés sous réserve de 4 conditions cumulatives :
- que ces critères soient liés à l’objet du marché ;
- qu’ils ne confèrent au pouvoir adjudicateur une liberté inconditionnée de choix ;
- que les critères soient expressément mentionnés dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché et enfin ;
- qu’ils respectent les principes fondamentaux du droit communautaire s’agissant notamment celui de la non-discrimination.
Ainsi, tout repose sur le fait de savoir si le critère énoncé (moindre pollution des rejets et moindre pollution sonore) est lié ou non à l’objet du marché.
Le critère écologique est bien lié à l’objet du marché
Et de manière assez novatrice pour l’époque, le magistrat affirme que la ville d’Helsinki est libre de donner la préférence aux autobus peu polluants car cela relève de son choix de politique publique écologique, qui vise à réduire les nuisances pour l’environnement engendrées par la circulation des autobus.
Autrement dit, le critère a bien un lien avec l’objet du marché dans la mesure où la démarche de la collectivité est une démarche globale, qui inclut sa politique publique de lutte contre les nuisances.
Le critère écologique n’est pas discriminatoire
Il écarte de la même manière le risque que de tels critères confèrent au pouvoir adjudicateur une liberté inconditionnelle de choix qui conduirait de fait à une discrimination, en observant que tous les concurrents avaient la possibilité, s’ils le souhaitaient, d’acquérir des autobus fonctionnant au gaz naturel et leur permettant d’obtenir les points supplémentaires.
Le critère écologique ne constitue pas une barrière artificielle à l’accès au marché
Reste en suspens la question de la barrière à l’accès au marché érigée par ce critère écologique, puisque très peu de soumissionnaires, et en l’espèce seule HKL, est en mesure de satisfaire à ce critère par l’usage de bus circulant au gaz naturel.
Compte tenu du caractère novateur du critère, il est normal que peu d’opérateurs soient en mesure de s’y soumettre à ce moment-là de l’histoire.
Mais la légitimation de la demande, c’est-à-dire l’inclusion dans les conditions d’exécution de ce type de prestations de transport de critères écologiques dont on a démontré le lien avec l’objet du marché, va conduire les opérateurs à s’adapter… ou à disparaitre.
Le libre jeu de la concurrence
Autrement dit, laissons faire la loi du marché, laissons fonctionner le libre jeu de la concurrence par l’offre et la demande.
Dès lors que la demande est légitime – utiliser les politiques d’achat comme leviers de mise en œuvre des politiques publiques environnementales est pertinent -, le principe d’égalité de traitement ne s’oppose pas à la prise en considération de critères liés à la protection de l’environnement, du seul fait que la propre entreprise de transports de l’entité adjudicatrice figure parmi les rares entreprises ayant la possibilité de proposer un matériel qui satisfasse auxdits critères.
Conclusion
Pour la première fois, en tout cas de manière aussi marquée, la haute juridiction crée du lien et de la cohérence entre les politiques, en favorisant la prise en compte de critères additionnels de développement durable dans la politique d’achat.
Cette décision a construit les fondations des raisonnements que nous retrouverons de manière itérative dans les décisions de la haute cour.
À suivre…